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Communautés de parasites des anguilles de Corse : des invasifs dans les lagunes côtières et les eaux douces

L’anguille d’Europe Anguilla anguilla est une espèce en déclin depuis 4 décennies, en danger critique d’extinction selon l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (IUCN). Cette fragilité des populations d’anguilles a conduit l’Union Européenne à exiger de ses états membres la mise en place de plans de gestion pour cette espèce. Plusieurs causes au déclin de l’anguille sont connues : le changement climatique et les modifications des courants océaniques, les barrières à la migration, la dégradation et la perte d’habitat, la pollution, la prédation, la surpêche. A ces causes s’en ajoutent deux supplémentaires qui ont fait l’objet de cette étude : les espèces invasives (libres ou parasites) et les maladies et parasites, qui ont une influence sur la pertinence d’un milieu pour un repeuplement éventuel. Trois espèces de parasites invasifs avaient déjà été signalés dans les lagunes de Corse lors d’une thèse antérieure (Filippi, 2013).

Les objectifs de ce travail étaient multiples :
  1. apporter de nouvelles connaissances sur les parasites de l’anguille en Corse;
  2. comparer les communautés parasitaires entre les eaux douces et les lagunes côtières;
  3. étudier l’influence des facteurs biotiques et abiotiques sur la parasitofaune;
  4. évaluer les variations à long-terme des parasites dans les lagunes;
  5. déterminer les implications vis-à-vis du management d’une ressource menacée.
Les échantillonnages d’anguilles ont été réalisés en collaboration avec les pêcheurs des lagunes de Biguglia et d’Urbino, et avec la Fédération de Pêche de la Corse et l’Office Français de la Biodiversité pour les cours d’eau (voir figure 1).

Des examens des organes internes et externes ont été réalisés pour connaitre la composition des communautés de parasites et des analyses d’otolithométrie (voir figure 2) ont permis d’estimer l’âge des anguilles.

Faible diversité de parasites en milieu insulaire méditerranéen
L’étude constitue le premier inventaire de la faune parasitaire de l’anguille dans les eaux douces de Corse. En tout, dans les cours d’eau de l’île et les deux lagunes étudiées, dix-neuf espèces de parasites ont été recensées : on compte un copépode, trois cestodes, quatre digènes, deux monogènes, cinq nématodes et quatre acanthocéphales (voir la figure 3 pour quelques exemples). La diversité en espèces est parmi la plus faible retrouvée en Europe, avec l’absence notable de certaines espèces telle que Helicometra fasciata, un vers plat pourtant commun dans le sud de l’Europe. De même, les acanthocéphales, un type de vers parasites « à la tête hérissée d’épine », sont complètement absents des eaux douces de l’île alors qu’ils sont le taxon dominant en milieu continental.

Préférence des parasites vis-à-vis de leur habitat
Les communautés de parasites des deux lagunes étudiées et des cours d’eau montraient une différence marquée, ce qui soutient l’idée d’une dépendance de la composition en espèces chez les parasites de l’anguille à la salinité. Dans la lagune oligohaline à polyhaline de Biguglia, les espèces caractéristiques sont deux monogènes : Pseudodactylogyrus anguillae et Pseudodactylogyrus bini, et un copépode, Ergasilus gibbus, qui vivent tous sur les branchies de leur hôte.

Dans la lagune polyhaline à euhaline d’Urbino, ce sont plusieurs espèces de digènes spécifiques du système digestif de l’anguille qui sont caractéristiques : Deropristis inflata, Lecithochirium musculus et Bucephalus anguillae, ainsi que le nématode Contracaecum (larves) et l’acanthocéphale Southwellina hispida (larve).

Enfin, dans les eaux douces de l’île, la seule espèce caractéristique est le nématode Paraquimperia tenerrima.
L’habitat n’est pas le seul paramètre influant sur la composition spécifique des communautés de parasites de l’anguille, qui sont aussi impactés par des paramètres abiotiques tels que la saison et des paramètres biotiques, comme l’âge ou le stade d’argenture de l’individu.

Augmentation de l’abondance des parasites invasifs depuis 10 ans
Parmi les parasites signalés dans notre étude, trois sont des espèces invasives. Il s’agit d’Anguillicola crassus, Pseudodactylogyrus bini et Pseudodactylogyrus anguillae. Pseudodactylogyrus a été introduit en Europe dans les années 70 (Golovin, 1977) et Anguillicola crassus dans les années 80 ou peu avant (Taraschewski, 2006). Pseudodactylogyrus présente un fort potentiel de propagation en raison de son cycle de vie simple lui permettant d’infecter facilement de nouveaux hôtes. Il est connu pour avoir un impact sur la structure des branchies et la respiration et, en aquaculture, peut causer jusqu’à 90 % de mortalité en l’absence de traitement (Buchmann, 2012). Anguillicola crassus cause des dommages sur la vessie natatoire, un organe indispensable à l’équilibre du poisson et à sa migration de reproduction, et est l’un des facteurs fréquemment cités comme contribuant au déclin de l’anguille.

Déjà signalées dans les lagunes lors de la thèse de Jean-José Filippi (Filippi, 2013), nous avons étudié l’évolution de la présence de ces espèces en Corse. Leur abondance a augmenté entre 2009-2012 et 2021-2022.

Cette étude a permis de mettre en évidence le besoin de prendre en compte les préférences environnementales des parasites pathogènes les plus problématiques lors de la mise en place des plans de gestion. Les espèces invasives problématiques chez l’anguille ne sont que faiblement présentes, voire absentes, dans les eaux plus salées comme celles de la lagune d’Urbino. Pour cette raison, nous considérons raisonnable de déconseiller la capture de civelles dans le but de les relâcher dans les eaux douces.

Références
Buchmann, K. Pseudodactylogyrus anguillae and Pseudodactylogyrus bini. In Fish Parasites: Pathobiology and Protection; CABI: Wallingford, UK, 2012; pp. 209–224.

Golovin, P.P. Monogeneans of Eel during Its Culture Using Heated Water. In Investigations of Monogenoidea in the USSR; USSR Academy of Sciences: Leningrad, Russia, 1977; pp. 144–150.

Taraschewski, H. Hosts and Parasites as Aliens. J. Helminthol. 2006, 80, 99–128.

Pour en savoir plus 
Esposito, A.; Filippi, J.-J.; Gerbaud, C.; Godeaux, Q.; Millot, R.; Agostini, P.-J.; Albertini, C.; Durieux, E.; Foata, J.; Quilichini, Y. Macroparasite Communities with Special Attention to Invasive Helminths in European Eels Anguilla anguilla from Freshwaters and Brackish Lagoons of a Mediterranean Island. Fishes 2023, 8, 375. https://doi.org/10.3390/fishes8070375