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 ESPACE MEMBRE

Étude des parasites de la faune piscicole introduite et autochtone de Corse

 La Corse, avec ses 3 000 km de cours d’eau, possède un réseau hydrographique particulièrement dense et complexe. À cette complexité s’ajoute celle des peuplements piscicoles actuels, fruits de vagues successives d’introductions d’espèces dans les cours d’eau et les plans d’eau de l’île. Si la Corse est caractérisée par une faune piscicole native peu diversifiée (seulement quatre espèces), plus d’une vingtaine d’espèces introduites ont artificiellement augmenté cette diversité depuis la fin du 19e siècle (Fig. 1). 
Les impacts des espèces introduites sur les écosystèmes aquatiques sont multiples (e.g. compétition, prédation, modification d’habitat, impacts génétiques) et parmi ceux-ci, la co-introduction de pathogènes, dont les parasites, est particulièrement préoccupante et encore trop faiblement documentée.

Les objectifs du travail de cette thèse de doctorat étaient de (i) déterminer la composition de la parasitofaune des poissons natifs et introduits en Corse et évaluer sa richesse, (ii) déterminer si des transferts de parasites des poissons introduits vers les natifs ont pu se produire, et (iii) si les parasites présents sont susceptibles d’avoir un impact en termes de santé animale ou humaine.

Plusieurs espèces natives et introduites de poissons ont été sélectionnées : anguille, truite, blennie fluviatile, vairons, chevaine, goujons et perche, seulement trois principales ont fait l’objet d’une étude poussée (Fig. 2): l’anguille d’Europe (Anguilla anguilla), les vairons (Phoxinus spp.) et la perche (Perca fluviatilis).

La plupart des prélèvements de poissons ont été réalisés en rivière, par pêche électrique, avec l’appui de l’Office Français de la Biodiversité et de la Fédération pour la Pêche et la Protection du Milieu Aquatique. Des échantillons d’anguilles ont également été récupérés auprès des pêcheurs professionnels des lagunes de Biguglia et d’Urbino, et un échantillon de perche a été obtenu suite à un signalement de parasites par un usager du milieu, pêcheur récréatif.

1 – L’anguille d’Europe : des parasites invasifs dans les lagunes et les cours d’eau de Corse
L’anguille d’Europe est une espèce exploitée, en déclin depuis quatre décennies, et classée en danger critique d’extinction par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). La fragilité des populations d’anguilles a conduit l’Union Européenne à exiger de ses États membres la mise en place de plans de gestion pour cette espèce. Plusieurs causes, anthropiques et naturelles, sont avancées pour expliquer le déclin de l’anguille : les obstacles à la migration, le changement climatique et les modifications des courants océaniques, la perte et la dégradation d’habitats, la pollution, la prédation et l'exploitation et le commerce légal et illégal. À ces causes, s’en ajoutent deux supplémentaires qui font l’objet de cette étude : les espèces invasives (libres ou parasites) et les maladies et parasites (Fig. 3) ont une influence sur la pertinence d’un milieu pour un éventuel repeuplement.

L’étude menée a permis de mettre en évidence trois résultats principaux :
  1. la diversité parasitaire chez l’anguille en Corse est relativement faible, avec l’absence notable des acanthocéphales dans les cours d’eau de Corse ;
  2. les parasites de l’anguille montrent des préférences vis-à-vis de l’habitat de leur hôte et de plusieurs paramètres biotiques et abiotiques (saison, âge, stade d’argenture). Par exemple, dans la lagune de Biguglia, les espèces les plus fréquentes et abondantes sont un copépode vivant dans les branchies de son hôte, et des espèces invasives : les monogènes Pseudodactylogyrus anguillae et Pseudodactylogyrus bini et le nématode Anguillicola crassus.
  3. l’abondance et la prévalence des parasites invasifs a augmenté dans la lagune de Biguglia depuis la dernière décennie et la thèse de Jean-José Filippi (2013). Ils ont, de plus, été retrouvés dans la totalité des 11 cours d’eau étudiés. Il faut noter qu'A. crassus cause des dommages sur la vessie natatoire, un organe indispensable à l’équilibre du poisson et à sa migration pour la reproduction, et il est fréquemment cité comme l’un des facteurs contribuant au déclin de l’anguille.
2 – Les vairons : une diversité surprenante et de multiples voies d’introduction
Les vairons du genre Phoxinus sont un exemple d’espèces cryptiques, ce qui signifie que les critères morphologiques sont insuffisants pour distinguer les différentes espèces, ce qui constitue un obstacle à une identification fiable sur le terrain. Plusieurs espèces de ce genre ont été transportées en dehors de leur aire de répartition native et sont qualifiées d’invasives. En Corse, il avait été montré précédemment que deux espèces peuplaient les cours d’eau : le vairon de la Manche Phoxinus phoxinus et le vairon de la Garonne Phoxinus dragarum (Denys et al. 2020).

L’approche de barcoding (analyse ADN) a révélé qu’il y a en réalité quatre espèces de vairons en Corse : les deux précédemment signalées, le vairon du Languedoc, Phoxinus septimaniae et le vairon du Danube, Phoxinus csikii. Les conséquences écologiques de l’introduction de ces poissons en Corse n’ont pas encore été évaluées, mais ces organismes pourraient entrer en compétition avec la faune native pour la nourriture. Par ailleurs, l’approche moléculaire a été indispensable pour l’identification de ces poissons à l’espèce, et devrait être utilisée dans le suivi des populations piscicole afin d’éviter toute confusion lorsque des espèces cryptiques se côtoient.

La diversité génétique des vairons révèle leur voie d’introduction primaire : le vairon de la Manche et le vairon du Danube auraient été introduit suite à leur utilisation comme appât pour la pêche au vif après leur vente par un grossiste tandis que le vairon de la Garonne et le vairon du Languedoc ont vraisemblablement été transportés directement par des pêcheurs récréatifs emmenant avec eux leurs appâts depuis le sud de la France continentale. L’étude des parasites de ces poissons a ensuite permis de retracer leurs voies d’introduction secondaire, c’est-à-dire entre les bassins versants de l’île.

La richesse parasitaire de ces poissons en Corse est plutôt faible, mais des larves attribuées au parasite Posthodiplostomum cuticola ont été retrouvées chez les vairons de plusieurs cours d’eau, ainsi que chez la truite dans la rivière de Tartagine où cette espèce patrimoniale côtoie les vairons introduits (Fig. 4). A l’heure actuelle, il serait imprudent d’affirmer que ce parasite a été co-introduit en Corse avec les vairons, mais la présence de populations stables de ces derniers favorise très certainement la complétion de son cycle de vie et son maintien dans l’île.

Pour en savoir plus : https://doi.org/10.1007/s10530-024-03320-7

3 – La perche : des parasites zoonotiques dans des poissons pêchés et consommés
Un échantillon de perche, Perca fluviatilis, a été analysé à la suite d’un signalement par un pêcheur récréatif de parasites dans ses prises. C’est la première fois que ces poissons font l’objet d’analyses dans l’île. Les individus, provenant de la retenue de Padula, étaient porteurs de deux parasites : le nématode Eustrongylides sp. et le digène Clinostomum complanatum, qui sont signalés pour la première fois sur le territoire français (Fig. 5). Ces parasites sont zoonotiques, et des cas humains ont été rapportés pour Eustrongylides en Amérique du Nord, et pour Clinostomum complanatum dans l’est de l’Asie, suite à la consommation de poisson cru ou insuffisamment cuit.

Il n’y a pas assez de données pour conclure quant à l’origine de ces parasites, mais leur cycle de vie semble pouvoir être complété car tous les hôtes nécessaires sont disponibles dans l’île, et il est probablement facilité par les introductions passées de poissons qui sont les hôtes intermédiaires.

La présence de ces parasites en Corse est aussi préoccupante du point de vue de la santé animale car ils sont capables d’utiliser et d’être pathogènes pour de nombreux hôtes poissons, mais aussi amphibiens et serpents, et sont retrouvés au stade adulte chez des oiseaux piscivores.

Pour en savoir plus : https://doi.org/10.1007/s00436-024-08264-4

En savoir plus
Le manuscrit de thèse est disponible à l’adresse suivante : https://theses.hal.science/tel-04634732

Denys GPJ, Dettai A, Persat H, et al (2020) Revision of Phoxinus in France with the description of two new species (Teleostei, Leuciscidae). Cybium 44:205–237.

Filippi J-J (2013) Étude parasitologique de Anguilla anguilla dans deux lagunes de Corse et étude ultrastructurale du tégument de trois digènes parasites de cette anguille. Université de Corse Pasquale Paoli

Roché B (2001) Atlas des poissons d’eau de douce de Corse. DIREN de CORSE, Bastia

Roche B, Mattei J (1997) Les espèces animales introduites dans les eaux douces de Corse. Bull Fr Pêche Piscic 344–345:233–239. 

Casa di l'acqua 
Contacts
Anaïs Esposito
Université de Corse
CNRS UMR 6134 SPE
projet Gestion des eaux en Méditerranée
courriel : esposito_a@univ-corse.fr

Yann Quilichini
Université de Corse
CNRS UMR 6134 SPE
projet Gestion des eaux en Méditerranée
courriel : quilichini_y@univ-corse.fr