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© Laurent Tripault

Callinectes sapidus
Des nouvelles du groupe de travail Callinectes sapidus en région Corse. Point d’avancement sur les actions et suivis scientifiques.

Originaire des côtes atlantiques américaines, le Cabe bleu est observé dans l’est de la Méditerranée depuis les années 1940. Il y aurait probablement été introduit par l’intermédiaire du trafic maritime (eaux de ballast ou biofouling) et a progressivement étendu son aire de répartition. Le premier signalement vérifié en Corse remonte dans les années 90 dans la lagune de Palu. L’individu a été capturé par un pêcheur en milieu lagunaire de la plaine orientale.

L’augmentation préoccupantes des populations du Crabe bleu, Callinectes sapidus, sur le littoral Corse (milieux lagunaire et marin côtier) ont conduit l’Office de l’environnement de la Corse (OEC) et la DREAL Corse à réunir différentes parties prenantes impliquées, pour définir une stratégie régionale en réaction à l’expansion de Callinectes sapidus.

Entre 2014 et 2017, l’espèce s’étend sur le long du littoral Est de la Corse et entre 2019 et 2021, le nombre d’individus a très fortement augmenté sur plusieurs sites (lagunes de Palo et Biguglia). En 2020, les pêcheurs ont signalé pour la première fois la présence de femelles grainées sur la lagune de Palu attestant ainsi sa reproduction en Corse. En 2021, des femelles grainées ont été observées et capturées le long du lido de la Marana (au sud de Bastia) et dans les lagunes de Biguglia, Urbinu et Palu (Fig. 1). Le Crabe bleu est également signalé l’extrême sud en mer au sein de la Riserva Naturali di Bucchi di Bunifaziu (à proximité de l’étang de Ventilegna et dans la baie de Figari) en 2020 et a été observé dans les lagunes d’Arasu, Saint-Cyprien et Pisciu-Cane en 2021 (Fig. 1).

Le crabe bleu peut avoir des impacts sur les activités de pêche (e.g. dégradation des filets, prédation sur les poissons en milieu naturel ou dans les filets, blessures des mains des pêcheurs) et de conchylicultures (e.g. prédation possible sur les juvéniles de coquillages). Ces impacts potentiels sont encore peu documentés en Corse et en Méditerranée (programme BLEU-ADAPT en cours).

Fig. 1. Carte localisant les sites lagunaires ou marins côtiers ayant fait l’objet de capture ou observation d’individu appartenant à l’espèce Callinectes sapidus en Corse de 2003 à 2021.

Plusieurs sous-groupes de travail thématiques ont été organisés et réunis en 2021 par l’OEC et la DREAL de Corse, à l’issue de l’installation du groupe de travail sur Callinectes sapidus en début d’année (Janvier 2021) :

  • groupe de travail « scientifique – suivis » ;
  • groupe de travail « scientifique – ADNe » ;
  • groupe de travail « pêcheurs sentinelles » ;
  • lien façade méditerranéenne (intégration du pôle-relais lagunes méditerranéennes au sein des groupes de travail pour faire le lien entre les actions sur les 3 régions).

Durant ces différentes réunions, les échanges ont permis de soulever un certain nombre de points et d’acter la mise en œuvre à court terme de plusieurs actions/études en région Corse :

  • mutualiser les bases de données et bancariser les informations collectées sur C. sapidus aux échelles interrégionales et nationales. Pour cela, le Réseau Alien Corse (OEC) pourra transférer les données en sa possession, qui seront transmises à l’INPN et la base de données halieutique de Corse de l’OEC ;
  • la détection de propagules et d’ADNe permet d’identifier les premières traces de développement d’une nouvelle population sur un site. C’est pour cette raison que l’OEC avait commandé fin 2020 une étude qui a permis de (i) déterminer des marqueurs génétiques spécifiques à C. sapidus, (ii) la mise au point de collectes d’échantillons en termes de techniques et (iii) de définir des points de prélèvement sur certaines lagunes corses. La multiplication des sites colonisés sur le littoral ainsi que les résultats obtenus relatifs à la détection précoce de C. sapidus en Corse ont conduit l’OEC et la DREAL Corse à poursuivre l’étude commandée en 2020, particulièrement sur les sites lagunaires et estuariens de l’extrême sud. Cette nouvelle étude a également pour objectifs (i) de déterminer l’état actuel de l’implantation de C. sapidus en milieux lagunaires et estuariens en conduisant une étude ADNe sur des nouveaux sites (ou la colonisation n’est pas encore connue) et (ii) également de retracer la phylogéographie des populations présentes en Corse ;
  • réalisation d’un état de l’art bibliographique par Dimitri Veyssière (Alternant à l’OEC depuis septembre 2021 pour une durée de 2 ans sur la thématique Crabe bleu) permettant de cibler les connaissances actuelles sur l’espèce et nous aider à mieux appréhender les stratégies à adopter pour certaines études ;
  • élaborer et diffuser une enquête à destination des pêcheurs récréatifs en 2022 dans l’optique d’obtenir une cartographie plus fine de la présence C. sapidus sur le littoral (OEC ; cf. travaux Cerri et al., 2020). L’enquête pourra comporter des questions communes à l’enquête porté par le CPIE du bassin de Thau en région Occitanie afin de pouvoir comparer nos résultats ;
  • réaliser une cartographie participative pour suivre sur le long terme les populations du crabe bleu sur la lagune de Biguglia à partir d’entretiens avec les pêcheurs professionnels (OEC ; cf. travaux. Azzuro & Cerri, 2021) ;
  • lancer une étude de la dispersion larvaire et connectivité chez le crabe bleu début 2022. L’étude sera réalisée par l’Université de Corse dans le cadre des travaux de thèse de Céline Barrier avec l’appui d’un stage de Master 2 ;
  • élaborer une stratégie pour lancer une étude (2022 ou 2023) pour suivre par télémétrie les déplacements/migrations du crabe bleu entre la mer et la lagune (UCPP – MNHN – OEC) ;
  • pérenniser le réseau de pêcheurs « sentinelles » volontaires pour améliorer la remontée d’information et permettre une meilleure surveillance de l’espèce. La collaboration privilégiée entre l’OEC et les pêcheurs professionnels à l’échelle de la région Corse a été soulignée ;
  • poursuivre et renforcer les liens entre les actions engagées et à venir sur le Crabe bleu à l’échelle de la façade méditerranéenne française (e.g. suivis scientifiques et développement de l’ADN environnemental, enquêtes, retours d’expérience). Dans ce cadre, le groupe de travail Corse est en lien avec le pôle-relais lagunes méditerranéennes ;
  • et de suivre l’évolution de la réglementation liée à cette espèce à l’échelle nationale et européenne. L’espèce, actuellement non réglementée en France, est susceptible d’être interdite d’introduction dans le milieu naturel. Cette proposition est en cours de consultation institutionnelle. A l’échelle régionale, le GT pourra travailler sur son statut et faire des propositions pour faire évoluer la réglementation régionale

Pour s’engager dans une stratégie nous devons disposer de données fiables. Une fois ce travail d’amélioration de la connaissance réalisé nous pourrons fixer des priorités pour in fine déployer des actions de gestion pour la région Corse et décliner un plan d’action régional.

Les premiers résultats du Groupe de travail en Corse relatifs au Crabe bleu (Callinectes sapidus).
Mise à jour du 01/04/2022

En 2019, face à l’augmentation préoccupantes des populations du Crabe bleu dans les milieux lagunaires corses, l’Office de l’Environnement de la Corse (OEC) et la DREAL Corse ont installé un groupe de travail. Ce dernier réunit les différentes parties prenantes impliquées sur cette thématique dans l’optique de définir une stratégie régionale en réaction à l’expansion de Callinectes sapidus.

À ce jour, 50 personnes, appartenant à 22 structures différentes (Ministère, services de l’état et de la collectivité, universités, établissements publics) ainsi que des pêcheurs professionnels et des gestionnaires d’espaces naturels composent ce groupe de travail. 5 sous-groupes thématiques ont été organisés et réunis depuis 2021 par l’OEC et la DREAL de Corse :

  • groupe de travail « scientifique – ADN environnementale » ;
  • groupe de travail « scientifique – suivis » ;
  • groupe de travail « scientifique – lien ENI/état écologique des Lagunes » ;
  • groupe de travail « pêcheurs sentinelles » ;
  • lien façade méditerranéenne (intégration du pôle-relais lagunes méditerranéennes au sein du GT pour faire le lien entre les actions sur les 3 régions).

Lors de la conférence interrégionale du 14 Mars 2022 organisée par le Pôle-relais lagunes méditerranéennes, différentes présentations ont été faites par des membres de ce GT. Ainsi la situation de C. sapidus de 2003 à mars 2022 et un point d’avancement sur les études menées en région (suivis des populations, dispersion larvaire et ADNe) ont pu être développés. Quelques éléments sont détaillés ci-dessous et les présentations sont téléchargeables à la fin de cet article.

Suivis des populations de C. sapidus et amélioration des cartographies à différentes échelles spatio-temporelles

Dans le cadre des actions que l’Office de l’Environnement de la Corse mène pour améliorer les connaissances sur le Crabe bleu (Callinectes sapidus) en région Corse, le suivi des populations basé sur les retours du réseau de « pécheurs sentinelles » est un axe important. Un des résultats issus de ces suivis est l’établissement de cartographies participatives sur différentes lagunes (Fig. 1). La cartographie participative est un terme général qui fait référence à un large éventail de méthodes de recherche participatives et sociales où l'information spatiale est un élément central. Pour réaliser ce travail, nous nous sommes basés sur les travaux de Azzuro & Cerri (2021), il permet à partir de données provenant de la science participative, de mieux visualiser l’occupation spatiale du crabe dans chaque lagune. Ces résultats seront à terme utilisés pour cibler des actions de gestion adaptative et de lutte contre le Crabe bleu.

Les premiers résultats obtenus sur la lagune de Biguglia doivent être encore affinés. En effet, il y a des artefacts toujours visibles. L’anse de la Forca, à l’est de la presqu’île de San Damiano, et le chenal du grau sont des zones où l’abondance du Crabe bleu a pu être précisée par les pêcheurs (Fig. 1). Le krigeage (correspondant à la procédure géostatistique avancée qui génère une surface estimée à partir d'un ensemble dispersé de points avec des valeurs z) a été lissé sur ces zones ou normalement des obstacles (e.g. presqu’île) devraient empêcher le « lissage » entre les données des rasters de part et d’autre de l’île.

En parallèle, afin d’affiner nos connaissances sur la répartition du Crabe bleu à l’échelle du littoral de la Corse, un questionnaire ciblant les pécheurs récréatifs est en cours d’élaboration pour une diffusion fin juin 2022. Cet outil nous semble être pertinent pour impliquer efficacement les parties prenantes dans le suivi des espèces non indigènes (ENI). Les méthodes conventionnelles d'enquête sur l'apparition des EEE semblent avoir des limites claires pour fournir des informations à grande échelle géographique, en particulier pendant les premiers stades de l'invasion, lorsque les espèces sont généralement rares et/ou difficiles à détecter. En effet, ces enquêtes/études peuvent être coûteuses, chronophages et avoir une efficacité limitée par rapport à la vitesse et à l'ampleur de l’invasion. Par exemple, les enquêtes sur les pêcheries et les ports sont peu efficaces pour détecter toutes les ENI nouvelles et l'ADN environnemental, bien que prometteuse, présente un coût élevé et est encore loin de présenter les normes adéquates pour son application à grande échelle en milieu marin. Ces méthodes alternatives (que sont les questionnaires en ligne) peuvent être utilisées pour améliorer notre capacité à suivre l'arrivée et l’expansion des espèces non indigènes, réduisant ainsi les délais de détection et fournissant une base complémentaire pour la gestion environnementale et la prise de décision.

Étude sur la dispersion larvaire et la connectivité chez le Crabe bleu

Dans le contexte de la thèse de Céline Barrier intitulée « Modélisation de la dispersion larvaire pour l’étude de la connectivité des zones fonctionnelles halieutiques en Corse » codirigée par Vanina Pasqualini et Éric Durieux, une étude sur le Crabe bleu (Callinectes sapidus) a été lancée en janvier 2022 dans le cadre du Projet ITEM (Espèces Invasives Terrestres et Marines) de l’Université de Corse Pasquale Paoli - Fédération de Recherche Environnement et Société.

Un stagiaire de Master 2 (Théo La Piana) a été recruté en soutien à ce travail. Les objectifs principaux de cette étude sont (i) d’observer les variations temporelles sur une période de 10 à 12 ans (2010 à nos jours) - correspondant à l’explosion des signalements chez cette espèce invasive - des trajectoires de dispersion larvaire à partir des principales zones d’observation de femelles grainées et (ii) de quantifier la connectivité entre zones d’observation du crabe et d’émettre de nouvelles hypothèses à l’échelle du bassin pour mieux comprendre la dynamique d’invasion de l’espèce.

Ce travail est réalisé avec un outil de modélisation lagrangienne (ICHTHYOP), et le modèle hydrodynamique MARS3D. Les données biologiques sont issues des études passées/en cours et les observations réalisées par différents partenaires scientifiques ou professionnels de la mer (Office de l’Environnement de la Corse, DREAL de Corse, pêcheurs, clubs de plongée, etc.). Des échanges réguliers avec les équipes étudiant cette espèce dans son aire de répartition d’origine (Lysel Garavelli, Pacific Northwest National Laboratory, Seattle, Washington) sont réalisés dans le but de mieux comprendre les différences de traits d’histoire de vie du crabe dans sa nouvelle niche écologique.

Les premiers résultats de cette étude permettent d’observer des distances de dispersion amplifiées par les températures douces et les courants plus intenses à l’échelle du bassin lors de la ponte automnale, favorisant une connectivité entre zones relativement distantes. A l’inverse lors de la ponte printanière, les températures plus fraiches et les courants moins intenses semblent favoriser une dispersion sur des distances plus courtes, et une connectivité entre zones plus proches les unes des autres voire un autorecrutement. Les prochaines étapes sont de prendre du recul sur les résultats sur une période temporelle de 10 à 12 ans, et de tenter d’élargir l’emprise géographique du bassin à la Sicile et les côtes tunisiennes afin d’émettre de nouvelles hypothèses de connectivité.

Approche génétique de la population de Callinectes sapidus en Corse

La détection des espèces non indigènes peut se révéler compliquée dans les milieux où elles sont peu visibles et encore rare, particulièrement dans les écosystèmes aquatiques. Deux principales méthodes de détection sont actuellement largement utilisées : la détection à vue et la détection par piégeage. Cependant, ces méthodes présentent quelques difficultés en matière de représentativité de l’information accessible et d’investissement en temps. Des approches génétiques (ADN environnementale) permettent de pallier depuis 2008 aux problèmes de détection précoce en milieux aquatiques et de détermination des espèces rares et en particulier les ENI. À partir de prélèvements d'eau, il est possible de détecter des espèces où des groupes taxonomiques préalablement ciblés. Dans le cadre des actions financées par l’OEC et la DREAL de Corse (2020 et 2021-2023), le MNHN déploie un protocole de détection rapide sur le pourtour de l’île pour disposer in fine d’une représentation plus fine de la présence C. sapidus au sein des lagunes corses et plus largement du littoral (façade orientale et extrême sud.

Les données phylogéographiques montrent que l’ensemble des échantillons de C. sapidus collecté dans les lagunes du littoral est de la corse constitue un seul groupe génétique. Ce groupe est caractérisé par une faible diversité haplotypique. Il est génétiquement proche d’échantillons analysés en Méditerranée orientale et associé dans le même groupe que des échantillons prélevés dans la partie nord de la zone d’origine (entre les USA et le Venezuela).

Le même marqueur génétique (COI) est utilisé dans la mise au point d’un outil de détection de propagules et d’ADN environnemental de C. sapidus dans les lagunes. Les amplifications d’ADN, préalable indispensable à l’analyse, ont été mises au point. L’analyse des résultats par des outils bio-informatiques est en cours et permettra de dire si des traces de C. sapidus sont identifiées dans les prélèvements d’eau.

Pour conclure, les travaux d’amélioration de connaissances sur le Crabe bleu progressent. Les résultats des différentes études en cours font l’objet régulièrement d’échanges concernant les moyens mis en œuvre, les procédés et les techniques utilisés, ainsi que sur leur état d’avancement. De nouvelles collaborations se montent régulièrement pour trouver rapidement des moyens de lutte efficace contre l’invasion de Callinectes sapidus.

Marie GARRIDO

Observatoire Régional des Zones Humides de Corse
Pôle-relais lagunes méditerranéennes
Office de l’Environnement de la Corse

Courriel : Marie.Garrido@oec.fr
Téléphone : 04 95 50 99 41

Françoise DENIS

Laboratoire BOREA - MNHN, CNRS 8067, SU, IRD 207, UCN, UA
Station de Biologie marine
Place de la Croix – BP 225
29 182 Concarneau

Courriel : francoise.denis@mnhn.fr

Romain ROVAREY

Chef de l'unité politique de l'eau
Direction Régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement Corse

Courriel : romain.rovarey@developpement-durable.gouv.fr
Téléphone : 04 95 30 13 83

Céline BARRIER

Doctorante
Université de Corse Pasquale Paoli
UMR 6134 Sciences Pour L'Environnement
UMS 3514 Plateforme marine Stella Mare

Courriel : BARRIER_C@univ-corse.fr